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14 janvier 2023 6 14 /01 /janvier /2023 13:41

Bonjour les amis,

J'ai vu cette semaine AS BESTAS, le dernier film du réalisateur espagnol Rodrigo Sorogoyen.

Voici le synopsis:

Antoine et Olga, un couple de Français, sont installés depuis longtemps dans un petit village de Galice. Ils ont une ferme et restaurent des maisons abandonnées pour faciliter le repeuplement. Tout devrait être idyllique mais un grave conflit avec leurs voisins fait monter la tension jusqu’à l’irréparable…

Je vais essayer de vous  parler d'AS BESTAS tout en dévoilant le moins possible l'intrigue.

AS BESTAS est un film rude, une histoire d'hommes vue à travers les yeux d'une femme. Le couple de français est parfaitement intégré à la vie du village, sait parler leur langue, mais ils vont faire des choix qui vont créer de vives tensions avec leurs proches voisins, notamment les 2 frères Xan et Lorenzo.

Xan est particulièrement inquiétant en paysan têtu qui n'est jamais sorti de la ferme mais qui a un caractère fort, forgé aux durs travaux agricoles. Xan apparaît comme un rustre mais il est doté également d'une intelligence fine sur la nature humaine. Il sait percer les coeurs ! Il est porteur de valeurs ancestrales liées à la terre et d'un droit non-écrit qui régit les rapports entre paysans.

Face à lui Antoine représente un autre caractère très fort. Le film ne tombe pas dans la caricature et Antoine n'est pas un écolo qui vit en dehors des réalités. Sa compagne Olga et lui savent eux-aussi travailler dur et se plier aux exigences de la vie à la campagne.

Les dialogues entre Xan et Antoine, notamment au bar du village, sont particulièrement bien écrits: oppressants, à couper le souffle. On sent à chaque instant l'imminence d'un possible drame.

L'histoire s'étale dans le temps. On voit passer les saisons ce qui nous donne droit à de magnifiques images de la campagne galicienne. C'est un film fait de longs silences également: la nature, le rythme des saisons et les bruits du vent y parlent, à leur manière...

On est très loin d'une image bucolique du retour à la nature. N'y survivent que les gens forts, les gens taillés pour. Pas de glamour ici. En cela le film m'a un peu rappelé DELIVRANCE où, là aussi, le retour à la vie campagnarde n'était pas un chemin bordé de roses. Le "paradis espéré" que suppose le retour à la vie rurale existe mais il faut en payer le tribut. La nature impose ses vérités aux hommes et aux femmes.

Les personnages du film parlent en 3 langues: le castillan (ou l'espagnol pour faire simple), le galicien (très proche du portugais) et le français...Je comprenais parfaitement les passages en espagnol et en français mais un peu moins bien les dialogues en galicien et les sous-titres m'ont aidé à saisir des nuances importantes. Les 3 langues donnent beaucoup d'authenticité au film.

L'oeuvre oscille entre deux registres: le western rural âpre et le thriller car certaines scènes sont terriblement inquiétantes.

Quant au drame (dont je ne parlerai pas), sachez qu'il donnera l'occasion à Sorogoyen de faire une des plus époustouflantes métaphores cinématographiques que j'ai jamais vues. On est estomaqués !

Le film est long car à mi-chemin, quand on croit que l'épilogue va être proche, le réalisateur confie à Marina Foïs un rôle important qui relance l'histoire. Il y a avant le drame et après le drame et les deux parties du film sont aussi intéressantes, aussi riches.

Encore une fois les dialogues percutent. La confrontation entre Marina Foïs et sa fille venue de France lui rendre visite interpellent le spectateur. Des thèmes comme la liberté, la responsabilité des parents dans l'éducation de leurs enfants et les relations mère-fille y sont abordés avec pertinence. Il y a à la fois de la violence mais aussi de l'amour.

AS BESTAS est aussi un film qui, tout en traitant d'un problème précis dans une région culturellement bien définie, atteint une dimension complètement universelle. On pense à Giono, à Pagnol aussi, à la dureté sans concessions du monde paysan.

Du grand cinéma, assurément.

Sorogoyen s'est inspiré d'un fait divers réel pour imaginer cette histoire, et disons que dans la vraie vie Olga s'est comportée comme dans le film.

Denis Fenochet (Antoine), Marina Foïs (Olga) et Luis Zahera (Xan) sont remarquables. Peut-être que Sorogoyen leur a offert dans ce film les rôles de leur vie, tant leurs caractères sont marquants...

Xan et Antoine

Xan et Antoine

Antoine et sa compagne Olga

Antoine et sa compagne Olga

AS BESTAS...un western rural angoissant et oppressant, au coeur de la Galice...
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commentaires

L
J'ai bcp aimé ce film à sa sortie, il y a tous les jours des gens qui quittent la ville pour aller à la campagne, ils sont courageux, pas moi...
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A
Revenir à la campagne pour prendre une retraite paisible c'est envisageable mais vouloir y revenir pour vivre des productions de la terre c'est une autre affaire...Tout au long du film j'ai pensé que je n'aurais jamais été taillé pour me lancer dans un tel projet. comme celui d'Antoine...je n'aurais pas tenu un mois....mes parents et grands-parents eux auraient tenu le coup, pas moi...
R
Une bande annonce bien mystérieuse : de belles images sombres, un film qui a l'air de sortir des sentiers battus... et puis, la nature omniprésente, le rythme des saisons, voilà de quoi séduire les spectateurs...<br /> <br /> <br /> Belle soirée, AJE
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A
La nature est omniprésente dans le film et c'est elle qui est le cadre de cette tragédie (au sens grec du terme) mais aussi une tragédie en forme de western. <br /> La nature est parfois sombre mais contrastée également, qui offre aussi d'extraordinaires moments de luminosité, de vertige.<br /> Sorogoyen a su , à partir d'un simple fait divers, construire une oeuvre dense qui nous interpelle sur notre liberté, sur la nature, sur le prix que nous sommes prêts à payer pour conquérir notre bonheur.<br /> Le bonheur d'Antoine et d'Olga ferait fuir l'immense majorité des citadins dont le rythme et la vie ne sont gouvernés ni par la nature, ni par les saisons...AS BESTAS nous ramène aux sources, à nos liens perdus, à nos origines ancestrales...Je pense, par exemple, que mes 2 grands-pères ont vécu en Italie du Sud une jeunesse assez proche de celle de Xan.<br /> Dans le film il y a une scène qui dure 30 secondes: la mort d'un chevrier à l'aube dans ses collines inondées d'un étrange calme...une scène métaphysique où la mort apparaît sans drame, sans pathos, comme le fil des jours qui passent...<br /> Tous ceux qui s'interrogent sur le lien rompu entre l'homme et la nature seront interpellés par ce film qui évacue toutes les images d'Epinal et qui nous confronte avec une réalité à la fois âpre, mais belle aussi.<br /> Bonne fin de soirée l'amie<br />
F
Je vois que tu as aimé ce film autant que moi.<br /> Je me souviens que tu 'avais dit qu'il devait sortir chez vous plus tard (il est sorti en juillet chez nous).<br /> C'est vrai que lorsque j'ai vu ce film, vu sa longueur, j'ai eu un peu peur qu'il se traine un peu. Mais le rebondissement qui se produit dans sa seconde partie vient secouer le tout.<br /> Tu as raison d'insister sur les échanges entre la mère et la fille. Les dialogues sont très forts.<br /> Et comment ne pas partager la colère de la fille. Mais l'amour dépasse la raison .<br /> Pour moi l'un des 3 meilleurs films de 2022.<br /> Denis Fenochet est un acteur que l'on voit de plus en plus, et dans d'excellents rôles.<br /> Quant à Luis Zahera dans le rôle de Xan, il est juste extraordinaire. Il est habité par son personnage.<br /> Bon week'end l'ami.
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A
C'est toi qui avais attiré mon attention sur ce film, et effectivement il fait sans doute partie des meilleures productions de l'année dernière. J'ai fait un séjour en Galice il y a une vingtaine d'années, en logeant chez l'habitant et j'ai bien retrouvé l'ambiance des tous petits villages. Les galiciens ont la réputation d'avoir des caractères forts (un peu comme les bretons chez nous)...réputation qui n'est pas usurpée. Le personnage de Xan est fascinant. Paysan frustre, qui n'a pas fait d'études, mais qui a beaucoup appris de la vie...On l'imagine bien très combinard...Il reconnaît de manière ironique à Antoine une supériorité à manier le verbe qui fait que celui-ci est capable d'influencer le vote de certains villageois, mais Xan sait s'y prendre pour pousser Antoine dans ses derniers retranchements. Quand Xan pose une question à Antoine on sent bien qu'on est dans le monde paysan et que la parole donnée (ou pas), la parole des hommes est la seule chose qui compte...Vraiment Zahera explose dans son rôle: il crée un archétype, de la même manière que Pagnol avait crée un autre archétype avec le Papet.<br /> Marina Foïs est impeccable dans son rôle, très crédible. Il y a une très belle scène quand elle est en train de bêcher et qu'elle relève la tête avec un sourire et Antoine la compare à une reine contemplant son espace...Superbe !<br /> Bonne fin de soirée l'ami et merci d'avoir attiré mon attention sur ce film. Ça aurait été un pêché de ne pas le voir....