Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
9 octobre 2014 4 09 /10 /octobre /2014 08:24

Bonjour les amis,

Je poursuis le billet au sujet d' Elena, avec un autre cas qui traite du lourd héritage familial...héritage qui peut parfois être assez insupportable.

Il y a quelques années j' avais été nommé professeur principal ( ici en Espagne on dit tuteur) d' un groupe de seconde.

Dès la première heure, je sens qu' il y a dans ce groupe, non pas un leader qu' il faudra  " mater" rapidement, mais carrément un groupe de 5 ou 6 élèves qui vont me tenir tête et que j' ai intérêt à réduire illico-presto toute vélléité de rébellion sinon ce sera la croix et la bannière durant tout le reste de l' année scolaire.Il ne faut pas faire de demi-mesures dès le départ et les élèves doivent sentir qu' il n' y aura pas la moindre entorse aux normes de fonctionnement de la classe et qu' il y aura des principes avec lesquels on ne transigera pas.

Tout pédagogue sait parfaitement que les premières heures de classe avec un groupe sont déterminantes et si, par malheur, un élève réussissait à mettre en échec l' autorité de l' enseignant,celui-ci risquerait d' en patir durant tout le reste de l' année scolaire.

C' est donc dans un contexte "tendu" et menaçant que j' avais fait ma première heure de classe à l' issue de laquelle j' avais demandé la réalisation de devoirs à la maison pour la prochaine session.

Lors de la 2 ème rencontre avec ce groupe, je savais pertinemment avant d' entrer en classe que certains n' auraient pas fait leurs devoirs et qu' il faudrait en profiter pour faire un bon exemple qui limiterait ensuite les " vocations"...

Seulement, voilà, ce jour-là je commets une petite erreur technique: je ne connais pas encore mes élèves et je ne m' attaque pas au " bon client".

J' interroge Nestor qui me paraît très distrait et je lui demande s' il a fait ses devoirs, et il me répond ( comme je le supposais) que non...

J' en profite aussitôt, j' embraye, lui passe un savon, et je conclue en m' exclamant de manière assez théatrale que toute à l' heure j' appellerai sa mère...

Et Nestor me répond très calmement: " je ne crois pas, non..."

Et d' un seul coup se forme dans la classe un énorme silence...plus aucun murmure ! un silence assourdissant ! Je me rends compte immédiatement que j' au dû commettre une gaffe, et j' embraye en disant rapidement:


" Et bien j' appellerai ton père...."

Et Nestor de me répondre..." Je ne crois pas, non...à la rigueur ma soeur...."


Définitivement, je sens que plus j' avance , et plus je m' enfonce...je suis témoin du silence très gêné du reste de la classe et je préfère botter en touche et passer rapidement à autre chose.On est en début d' année, et on ne connaìt pas bien nos élèves, et j' opte pour un repli stratégique et je fiche la paix à Nestor et je continue mon cours le plus normalement du monde.

Quand la classe se termine, j' attends que tout le monde soit sorti, et j' en profite pour chopper Nestor à part, et je lui dis:


" Excuse-moi Nestor, de t' avoir interpellé de cette manière mais tu as un problème particulier avec tes parents que je ne sais pas et que je devrais connaître? "

Et il me dit:

- Bin ma mère est morte...elle a été poignardée par mon père qui est en prison....

- Je suis complètement désolé Nestor..je n' en savais absolument rien.


GLURP !!! Je prends ça dans les gencives !!!

Je lui demande quand ça s' est produit et il m' explique que le drame a eu lieu quelques années auparavant.Il me dit qu' il a 4 ou 5 frères et soeurs et qu' il vit chez l' aînée....que si il y a un problème, c' est avec elle qu' il faudra parler...

 

On en reste là, et je rentre chez moi un peu sonné, en me demandant ce qui peut arriver de pire pour un enfant, à savoir d' une part que sa mère soit assassinée, et que d' autre part ce soit en plus par son propre père...perdre en quelques instant les deux piliers affectifs sur lesquels s' appuient n' importe quel être humain.


Je raconte l' anecdote à ma fille qui est scandalisée et qui me dit: 

" M' enfin, papa...tout le village savait que le père de Nestor était extrêmement jaloux et qu' il avait assassiné son épouse dans un accès de folie, en allant l' égorger dans le salon de coiffure où elle travaillait..."

Je lui réponds;"Désolé ma fille ... tout le village le savait, mais pas moi car je suis arrivé l' année suivante..."

De toutes façons, je n' ai pas trop culpabilisé car cet incident s' est produit plusieurs années après cet horrible drame, et Nestor avait surmonté le premier traumatisme d' une part, et ensuite les nombreux frères et soeurs, et ses grands-parents l' avaient soutenu assez efficacement ( dans la mesure du possible).

Il ne m' avait pas répondu en affichant une douleur encore vive, mais simplement en m' exposant brièvement et simplement, sans pathos,des faits tout simplement atroces.


Quelques années plus tard, un de mes très jeunes élèves équatoriens vivra une tragédie similaire: son père poursuivra sa mère à 4 heures du mat' ...elle tentera de se protéger dans sa voiture mais l' époux cassera les vitres, et la poignardera avec plus d' une dizaines de coups de couteaux...il se présentera tout de suite après à la garde civile en déclarant: " He cometido una boludez..." ce qui veut dire "J' ai fait une grosse bêtise..."


Effectivement, c' est le moins qu' on puisse dire...je revois le visage complètement perdu de ces deux jeunes enfants devant le cercueil de la mère lors de l' enterrement.Ce sera la tante qui les prendra sous son aile...

 

Terrible tout ça, mais là, c' est pas des histoires pour se faire peur...c' est la triste réalité.

Au lycée on fait ce qu' on peut à notre niveau, en éduquant de manière à éviter toute violence sexiste et de façon à prévenir par la suite toute dérive...Mais la société est là, avec sa culture machiste, ses valeurs violentes et ses tares...

Est-ce ainsi que les hommes vivent ? s' exclamait Louis Aragon dans le " Roman inachevé"...malheureusement oui...la violence machiste n' est pas erradiquée de nos sociétés et nous avons tous beaucoup à faire en ce sens pour améliorer les choses...


 

 


Tout est affaire de décor
Changer de lit changer de corps
À quoi bon puisque c’est encore
Moi qui moi-même me trahis
Moi qui me traîne et m’éparpille
Et mon ombre se déshabille
Dans les bras semblables des filles
Où j’ai cru trouver un pays.
Cœur léger cœur changeant cœur lourd
Le temps de rêver est bien court
Que faut-il faire de mes nuits
Que faut-il faire de mes jours
Je n’avais amour ni demeure
Nulle part où je vive ou meure
Je passais comme la rumeur
Je m’endormais comme le bruit.
C’était un temps déraisonnable
On avait mis les morts à table
On faisait des châteaux de sable
On prenait les loups pour des chiens
Tout changeait de pôle et d’épaule
La pièce était-elle ou non drôle
Moi si j’y tenais mal mon rôle
C’était de n’y comprendre rien
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent
Dans le quartier Hohenzollern
Entre La Sarre et les casernes
Comme les fleurs de la luzerne
Fleurissaient les seins de Lola
Elle avait un cœur d’hirondelle
Sur le canapé du bordel
Je venais m’allonger près d’elle
Dans les hoquets du pianola.
Le ciel était gris de nuages
Il y volait des oies sauvages
Qui criaient la mort au passage
Au-dessus des maisons des quais
Je les voyais par la fenêtre
Leur chant triste entrait dans mon être
Et je croyais y reconnaître
Du Rainer Maria Rilke.
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent.
Elle était brune elle était blanche
Ses cheveux tombaient sur ses hanches
Et la semaine et le dimanche
Elle ouvrait à tous ses bras nus
Elle avait des yeux de faÏence
Elle travaillait avec vaillance
Pour un artilleur de Mayence
Qui n’en est jamais revenu.
Il est d’autres soldats en ville
Et la nuit montent les civils
Remets du rimmel à tes cils
Lola qui t’en iras bientôt
Encore un verre de liqueur
Ce fut en avril à cinq heures
Au petit jour que dans ton cœur
Un dragon plongea son couteau
Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent

Louis Aragon, Le Roman inachevé


Partager cet article
Repost0

commentaires

L
<br /> Eh bien, dans cette société machiste, ça fait du bien de voir qu'une fille de 17 ans, Pakistanaise, qui lutte pour l'éducation des filles, revevoir le prix Nobel de la Paix !<br /> <br /> <br /> Bon WE à toi et encore bravo pour le métier que tu fais!<br />
Répondre
A
<br /> <br /> Tout à fait...quand on pense qu' ils ont donné le Nobel de la paix à un mec comme Kissinger dont on vient d' apprendre la semaine dernière qu' il avait demandé un plan de bombradement de Cuba en<br /> 1976 après l' interventions des troupes cubaines en Angola...<br /> <br /> <br /> http://www.nytimes.com/2014/10/01/world/americas/kissinger-drew-up-plans-to-attack-cuba-records-show.html?_r=1<br /> <br /> <br /> Au moins cette année le Nobel va à quelqu' un qui le mérite !<br /> <br /> <br /> Bon dimanche<br /> <br /> <br /> PS: comme je disais à Fatizo...nous on n' a pas de mérite...on n' est pas vraiment exposé non plus...<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> Ce ne doit pas être simple de gérer tous ce élèves pendant de longues années avec des histoires parfois tragiques. Il faut être ffort psychologiquement et bien armé.<br /> <br /> <br /> C'est avec de tels cas que l'on se rend compte que n'importe qui ne peut pas devenir prof, et surtout qu'il mérité un respect énorme pour le travail qu'ils font, et les difficultés qu'ils<br /> rencontrent.<br /> <br /> <br /> La société actuelle semble vouloir l'oublier.<br /> <br /> <br /> Bonne soirée l'ami.<br />
Répondre
A
<br /> <br /> Bonsoir Fatizo,<br /> <br /> <br /> Il y a près de chez moi un centre d' accueil ou un foyer pour enfants dont les parents ne peuvent plus  faire face à leurs obligations.Ce sont des situations généralement très<br /> dures.Scolairement ces enfants sont complètement à la dérive et il faut essayer de ne pas en faire des futurs marginaux.On travaille en collaboration avec des éducateurs, et des professeurs<br /> spécialisés.On fait ce qu' on peut mais ce n' est vraiment pas simple...<br /> <br /> <br /> Malgré tout, n' exagérons pas: c' est surtout très dur pour eux et pas pour nous...on n' est pas les bonnes soeurs de la charité...on n' est pas aux premières loges non plus.On essaie d' aider<br /> comme on peut, et on a de toutes façons peu de moyens à notre disposition.Par contre, nous sommes très utiles pour exercer un bon suivi et guider les parents mais c' est à eux ( ou aux<br /> éducateurs) de contrôler ce qui se passe en dehors du bahut...et c' est cette partie là qui est la plus difficile ( celle où nous n' intervenons pas)<br /> <br /> <br /> Bonne fin de soirée<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> Certains enfants vivent des histoires compliquées, parfois terribles : cette année, un de mes élèves m'a annoncé, dès le début, que son père était alcoolique et que lui-même ne supportait<br /> plus sa mère ! Comment supporter, à 16 ans, de telles situations ?<br /> <br /> <br /> Bonne soirée, AJE<br />
Répondre
A
<br /> <br /> Bonsoir Rosemar,<br /> <br /> <br /> Difficile de ne pas penser à la vanne de Coluche: quand les parents boivent c' est les enfants qui trinquent...<br /> <br /> <br /> L' adolescence est  déjà en soi un âge difficile et il faut reconnaître que les séparations des couples se produisent souvent pendant cette étape de leur vie.Ça donne souvent lieu à de vrais<br /> passages à vide...<br /> <br /> <br /> Cette même année, celle de Nestor, il y avait dans ce groupe un élève dont le père était junkie.<br /> <br /> <br /> Un jour il s' est disputé avec son fils qui lui avait dit qu' il en avait marre de lui.Le fils n' a pas eu l'occasion de faire la paix avec son père car le lendemain il s' était pendu.Imagine<br /> dans quel état psychologique était le gamin.Il n' a pas terminé son année scolaire...<br /> <br /> <br /> En ce moment, je note que l' effet de la crise vient se superposer à l' éclatement de certaines familles.Aux difficultés affectives viennent s' ajouter les difficultés financières.Mardi dernier<br /> je suis resté une heure avec une mère qui s' est séparée de son conjoint l' année dernière et qui a du mal à joindre les 2 bouts...compliqué tout ça.Mais parfois on peut les aider à éviter les<br /> gros pièges et à exercer un suivi de l' ado pour qu' il ne décroche pas...<br /> <br /> <br /> Bonne fin de soirée<br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br />  <br /> <br /> <br /> <br />