Bonjour les amis,
L' autre jour en répondant à Fatizo sur la protection et la couverture dont ont bénéficié de nombreux dignitaires nazis, m'est revenu en mémoire un curieux échange avec l'une de mes élèves de terminale.
C'était il y a plus d' une dizaine d' années à Calpe, une cité sur les bords de la méditerranée très connue pour son promontoire rocheux très caractéristique, le peñon d'ifach.
J'étais intérimaire à l'époque et en charge, entre autres, d'une classe de première et de terminale.
Un jour, alors que mes élèves réalisaient un examen, je lisais le dernier roman de Mario Vargas Llosa intitulé, LA FIESTA DEL CHIVO, et traduit en français en 2002 sous le titre " La fête du bouc" .
Un livre terrible dont l action se situe en République Dominicaine sous l' ère du dictateur sanguinaire Rafael Leonidas Trujillo .
A la fin de l'épreuve, Elena, une de mes étudiantes se lève pour me rendre sa copie.
Calpe se situant dans un lieu très touristique, ma population scolaire était assez cosmopolite, et les origines d'Elena n' étaient pas facilement identifiables car elle avait un nom composé moitié allemand et moitié hispanique.Par ailleurs elle avait des traits métissés où se mêlaient à la fois ses origines indiennes d'Amérique centrale et européennes.
Donc Elena se lève, et jette un coup d'oeil sur le livre que je suis en train de lire et me dit d'un air agacé:
" Qu' est-ce qu'un péruvien peut bien savoir de la République dominicaine ?"
Je suis un peu surpris par sa réaction et je ne peux m' empêcher de lui répondre:
" Voyons Elena, ce n' est pas nécessaire d'être allemand pour se faire une idée assez juste de qui était Adolf Hitler, et donc Mario Vargas Llosa même s'il est péruvien peut tout à fait légitimement écrire sur Saint Domingue et sur les atrocités commises sous le régime de Trujillo"
Et là, elle me répond:
- Ce livre est un tissu de mensonges...c' est pas comme ça que ça s' est passé...
Je suis encore plus surpris par sa réaction car le livre raconte des faits qui se sont produits avant même qu'Elena ne soit née, et je me demande bien qui a pu lui dire que tout ça était faux. Je lui demande donc comment elle peut être aussi sûre de ça et elle me répond que ce sont ses parents qui lui ont expliqué.
Bien évidemment, je lui demande aussitôt, et de manière faussement naïve et innocente, qui sont ses parents?... et là, elle m' explique qu'elle est la petite fille de l'un des frères du dictateur (celui qui était responsable de l'armée et qui était donc au moins aussi sanguinaire que le propre Leonidas)....je suis stupéfait car quelques minutes avant cette discussion j'étais plongé dans la lecture du roman qui justement décrivait les milles et unes horreurs qu'avaient perpétrées le frère de Trujillo, et qui le dépeignait comme un véritable monstre sans aucune pitié, auprès duquel Klaus Barbie aurait pu passer pour un enfant de choeur....
Et là d' un seul coup, comme dans un film de Woody Allen, la fiction que je lisais quelques minutes auparavant entre dans la réalité, et je me trouve devant une des descendantes de cette famille maudite de dictateurs... là, devant moi, en chair et en os.
Je lui dis tout de suite que je ne comprends pas bien son histoire car son nom n'a rien à voir avec la dynastie des Trujillo, et là , elle m'explique avec de très nombreux détails, qu'à la fin de la dictature la famille a cherché et trouvé refuge en Espagne (à l' époque franquiste)...qu' ils ont été protégés par la garde civile et qu' ils ont payé pour changer d'identité...Bref, elle me raconte une histoire avec tellement de détails qu'on peut difficilement inventer que je ne doute pas un seul instant de sa véracité...Et puis, il y a un autre fait qui corrobore ce que me raconte Elena: c'est qu'elle a été sous l' emprise de la propagande familiale ...ils lui ont fait croire que sa famille a été victime d' un ignoble complot, qu'ils ont été trahis par les américains et toute l'opposition et que toutes les horreurs qui ont été racontées par la suite sont fausses...
Elle semblait tellement sincère (et si peinée que je lise ce livre) que je n'ai pas réagi davantage devant elle...j'en savais suffisemment pour lui démontrer que malheureusement ses grands-parents (et probablement ses parents) s'étaient comportés comme des barbares et des criminels de la pire espèce, mais en même temps, j'imaginais que ces monstres à la retraite avaient dû être des grands-parents et parents aimants et attendrissants et je ne me sentais pas le droit moral d'essayer de lui ouvrir les yeux en risquant de détruire tout son équilibre affectif...Ce n'était pas mon rôle, d'autant plus qu'Elena n'était coupable de rien.
Il lui appartenait à elle d'être plus curieuse à l'avenir, ou de préférer vivre dans le confort des mensonges familiaux.
On n'en a plus jamais reparlé durant le reste de l'année scolaire.
Je ne l'ai jamais revue ensuite. Simplement pour faire ce billet j'ai fait une petite recherche et j' ai retrouvé sa photo actuelle sur les réseaux sociaux. Pas de doute c' était bien elle...avec son visage de belle métisse sortie d'une BD de Corto Maltese.
PS: j' ai modifié le prénom par respect pour la personne.