EL BUEN PATRÓN...une satire sociale très grinçante.

Publié le 15 Février 2022

Bonjour les amis,

Samedi dernier a eu lieu en Espagne la cérémonie des GOYAS (équivalent des Césars français) qui a vu le triomphe de EL BUEN PATRÓN de Fernando León de Aranoa, un réalisateur qui s'était illustré en 2001 avec son  drame social acclamé LES LUNDIS AU SOLEIL que je n'ai pas vu (mais que je vais voir bientôt).

EL BUEN PATRÓN (Le bon patron) a obtenu le Goya du meilleur film espagnol et aussi celui de la meilleure révélation de l'année pour Almudena Amor. Par ailleurs Javier Bardem est nommé aux Oscars pour son interprétation du rôle principal.

Voici le synopsis:

Julio Blanco est le propriétaire charismatique d'une entreprise qui fabrique des balances industrielles dans une ville de province en Espagne. Ses employés et lui attendent la visite imminente d’un comité qui décidera de l’obtention d’un prix local d’excellence. Tout se doit d’être parfait mais le sort semble s’acharner sur Blanco…

EL BUEN PATRÓN...une satire sociale très grinçante.

Dans ce film Julio Blanco (Javier Bardem) est le patron de sa boîte, le big boss, ce que les espagnols appellent "el puto amo"  et les américains "The fuckin' master of the universe" !

Il est très paternaliste, contrôle tout, est derrière tout. Il n'hésite pas à s'immiscer dans la vie très privée de ses employés s'il pense que les intérêts de son entreprise sont en jeu.

Blanco est tellement conscient d'accomplir ce qu'il a décidé d'être que ça en devient parfois grotesque mais aussi effrayant.

To be or not to be a big boss !

La force du film c'est qu'à chaque fois qu'on pense que Blanco pousse le bouchon trop loin, qu'il en fait trop, à chaque qu'on croit qu'il va se ressaisir il rebondit et va toujours plus loin. Blanco ne doute jamais de son bon droit ni de sa morale liée à la bonne santé de son entreprise.

Il se compare parfois à un chirugien qui doit amputer un membre à un patient : c'est très désagréable mais quelqu'un doit prendre la responsabilité de le faire pour le bien de tous.

Le film est espagnol mais le fait que Blanco dirige une entreprise qui fabrique des balances m'a évidemment fait penser à notre Nanard national (paix à son âme) qui avait repris Terraillon et dont les méthodes étaient parfois très proches de celles de Blanco.

Le thème de la balance est très bien utilisé dans le film comme une métaphore d'un monde idéal qui chercherait à être équilibré, fidèle et juste, comme les trois qualités techniques de toute bonne balance, sauf que dans le monde réel c'est tout l'exact contraire qui se produit.

Le scénario est très bien travaillé, de manière ingénieuse, avec toute une gallerie de personnages qui participent à un énorme jeu de massacre dont très peu sortiront indemnes: ni le  big boss avec sa conscience à géométrie très variable, ni certains travailleurs cyniques qui savent jouer sur le manque de conscience du boss, ni la classe politique, ni la presse, etc...

Mais il faut vraiment saluer la performance de Bardem qui est énorme dans ce film, comme s'il avait été patron toute sa vie.

Il nous surprend tout le temps, sait jouer de mille registres, de mille facettes. Il est roublard, il a de l'humour, il est drôle, très démago et sait surfer sur les modes de son époque pour s'attirer la sympathie des gens.

La manière, par exemple, avec laquelle il utilise le phénomène  #Me too#  pour faire pression sur l'un de ses employés est tout simplement ignoble. Il lui donne une leçon de morale et de bon comportement avec les femmes alors que lui-même n'a pas le nez propre. Il lui rend service mais avec une terrible menace à la clé s'il ne suit pas ses injonctions.

Il y a aussi sa façon hypocrite d'intégrer les travailleurs immigrés maghrébins qu'il considère comme ses fils adoptifs et de jouer la carte de l'interculturalité.

Ses relations avec les femmes sont très opportunistes. Son discours féministe d'un côté...et ses actes et son cynisme de l'autre...Mais son cynisme aura affaire à plus cynique que lui, comme une espèce d'antimoralisme dans l'amoralisme, par effet boomerang.

Almudena Amor, jeune révélation dont la présence illumine le film...
Almudena Amor, jeune révélation dont la présence illumine le film...

Almudena Amor, jeune révélation dont la présence illumine le film...

Le film surprend aussi parfois car il nous fait passer de scènes de comédie à hurler de rire à d'autres bien plus dramatiques. Ces différences de registre parfaitement voulues par le metteur en scène surprennent mais se justifient: malgré certains drames, la comédie de la vie continue comme dans la réalité.

La scène finale surprendra et elle est tout simplement magistrale et donne à ce film tout son sens profond.

On revient au thème de la balance...Va t'elle basculer ? Je vous laisse découvrir ça par vous-mêmes.

Bardem fait vraiment très fort dans ce film: il arrive à donner à son personnage une dimension quasi métaphysique puisqu'il est parfaitement conscient de ce qu'il est, et de ce qu'il fait. Il joue sur les sentiments, sur l'humain (tout comme le faisait Bernard Tapie). Il est comme le menteur qui se prend au jeu de ses propres mensonges. Blanco aime rendre spontanément service à tous ses employés mais en même temps il crée de la dette morale envers ceux qu'il aide, une dette dont il sait bien profiter par la suite. On se sait jamais où est la part de vrai et la part de faux dans ses relations avec les autres. C'est quelqu'un de perturbant car il sait être sympa.

Julio Blanco manipule disais-je mais il y a un thème sur lequel il ne ment pas, sur lequel il est sincère à 100%, c'est son obsession constante pour maintenir la prospérité de son entreprise et sa bonne image.

La fin justifie toujours les moyens.

Le pire c'est qu'on ne peut s'empêcher d'avoir de la sympathie pour Blanco. On a envie que les choses tournent bien pour lui et pour le bien de sa boîte malgré sa manière de manoeuvrer les personnes pour en obtenir ce qu'il désire. 

Personne ne sort indemne de cette comédie, disais-je, y compris le spectateur et sa sympathie coupable pour Blanco.

Je finirai en disant que la fable grinçante se transforme aussi en métaphore universelle et que l'entreprise de Blanco est également une allégorie de la société toute entière.

 

Rédigé par alea-jacta-est

Publié dans #Cinéma, #Espagne, #Satire, #Social, #Javier Bardem, #Almudena Amor, #Goya, #Oscars, #Aranoa, #Humour, #patrons, #PME

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L
Ben... B. Tapie m'a paru sympathique dès le début et jusqu'à la fin de sa vie... Et Dieu sait combien de magouilles il a dû faire...
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A
En ce qui concerne l' affaire Teraillon Bernard Tapie avait roulé les salariés dans la farine en leur promettant monts et merveilles mais , en fait, il n' avait rien entrepris pour moderniser l'entreprise qui avait un métro de retard technique sur la concurrence. Julio Blanco. lui est un patron qui défend vraiment sa boîte...ceci dit ses méthodes démagos, immorales et son souci de l'image rappellent beaucoup Tapie.
R
Un film très riche, donc, par les différents thèmes abordés concernant le monde du travail et même la société dans son ensemble... et en plus une satire qui prête à rire, le rire étant dénonciateur...<br /> En France, vient de sortir ce film : Un autre monde qui aborde aussi la thématique du travail en entreprise... dans un autre registre :<br /> <br /> https://www.lesechos.fr/weekend/cinema-series/un-autre-monde-vincent-lindon-toujours-en-guerre-1387189<br /> <br /> <br /> Belle soirée, AJE
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A
Cette fois-ci Aranoa a choisi (contrairement aux LUNDI AU SOLEIL qui est un film dur qui parle du chômage) de traiter son thème sous l'angle de la farce, de la caricature, et c'est un pari réussi car le sujet s'y prêtait bien. Ce rôle est un tournant pour Bardem qui est complètement à contre-emploi lui l'insoumis, le rebelle. Il y a aussi du vaudeville dans ce film avec une stagiaire craquante interprétée par Almudena Amor qui lui en fait voir de toutes les couleurs, qui le prend de manière très candide à son propre jeu. Je crois que le film n'est pas encore sorti en France.<br /> Merci pour le lien sur UN AUTRE MONDE qui nous plonge dans une dure réalité. Je le verrai dès que je pourrai.<br /> Bonne fin de soirée l'amie
M
Un film à voir, donc?
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M
Un film pas manichéen, donc... Il mérite d'autant plus d'être vu.
A
Par ailleurs le fait que Bardem soit nommé pour les Oscars indique bien que son interprétation est assez géniale et mérite à elle seule le déplacement.
A
C'est toujours délicat de pousser les gens à voir un film mais moi j'ai adoré bien sûr.<br /> Il y a aussi une originalité. Face au cynisme des patrons c'est rare de voir traité le cynisme de certains de leurs employés...Terrain glissant qui pourrait être mal interprété mais ici , dans le film, c'est très clair. Le metteur en scène est bien aux côtés de la classe ouvrière. Simplement des monstruosités ou le cynisme des uns finissent par générer celles des autres par effet boomerang. Retour à l'envoyeur.<br /> C'est un film qui commence un peu sur le ton de la farce, de la caricature, mais qui sait mêler des éléments très fins, très subtils...ça devient métaphysique.