Bonjour les amis,
Nous continuons de former un nouveau répertoire avec notre groupe vocal CADENZA, et , nous avons commencé la répétition du choeur des esclaves du Nabucco de Verdi.
C' est un air que j' ai un peu trop entendu dans ma jeunesse, et dont je me suis vite lassé, mais, à chaque fois qu' on entreprend l' interprétation d' une oeuvre très connue, il faut un peu oublier notre sentiment de saturation antérieur et l' appréhender sans à priori, comme si on la découvrait pour la première fois.
Revenons d' abord sur la genèse de cette pièce qui se convertira plus tard en symbole de ralliement de tout un pays.
Verdi écrit Nabucco à un moment de sa vie où il est extrêmement déprimé par la perte de son épouse et de ses deux enfants.Il est presque anéanti...au bord du suicide.L' article du Figaro que j' ai mis en lien relate très bien les conditions difficiles dans lesquelles fut créée cette oeuvre.
Verdi a été sauvé du suicide par Nabucco
En panne d'inspiration, écrasé par les coups du destin - ses deux enfants puis sa femme meurent à quelques mois d'intervalle -, le compositeur est au bord du gouffre lorsqu'on lui confie le livr...
Quand Verdi s' attaque à l' écriture de NABUCCO l' Italie est en pleine effervescence révolutionnaire.Milan faisait partie de l' Empire austro-hongrois et le pays entier aspirait à l' indépendance et la la réunification.
Cet opéra-drame politique évoque l'épisode biblique de l'esclavage du peuple juif exilé à Babylone symbolisé par le «Va, pensiero» des hébreux auxquels s'identifiait la population milanaise alors sous occupation autrichienne.
Sur les rives de l'Euphrate les Hébreux, vaincus et prisonniers, se rappellent avec nostalgie et douleur leur chère patrie disparue.
Ecoutons les vers du choeur des esclaves:
Va, pensiero, sull'ali dorate;
Va, ti posa sui clivi, sui colli,
Ove olezzano tepide e molli
L'aure dolci del suolo natal !
Del Giordano le rive saluta.
Di Sïonne le torri atterrate
Oh mia patria si bella e perduta !
Oh membranza si cara e fatal !
Arpa d'òr dei fatidici vati,
Perche muta dal salice pendi ?
Le memorie nel petto raccendi,
Ci favella del tempo chefu !
O simìle di Solima ai fati
Traggi un suono di crudo lamento,
O t'ispiri il Signore un concento
Che ne infonda al patire virtu, x 3
Al patire virtu !
Va, pensée, sur tes ailes dorées ;
Va, pose-toi sur les pentes, sur les collines,
Où embaument, tièdes et suaves,
Les douces brises du sol natal !
Salue les rives du Jourdain,
Les tours abattues de Sion ...
Oh ma patrie si belle et perdue !
Ô souvenir si cher et funeste !
Harpe d'or des devins fatidiques,
Pourquoi, muette, pends-tu au saule ?
Rallume les souvenirs dans le cœur,
Parle-nous du temps passé !
Rappelle-nous le sort de Solime
Dans une complainte aux tristes accents,
Laisse le Seigneur t'inspirer une harmonie
Qui nous donne la force d'endurer nos souffrances !
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Les paroles sont évidemment écrites avec un sens caché pour échapper à la censure mais le public ne s' y trompera pas et comprendra, dès la première interprétation, ce vers désormais célèbre.
Oh mi patria si belle e perduta
Oh ma patrie si belle et perdue
L' opéra sera un succès retentissant.Prévu pour 8 représentations il y en aura 64 en moins d' un an !!!
J' imagine bien dans le public des patriotes exaltés criant: VIVA ITALIA !
Verdi sera ensuite victime de tentatives de censure.Son opéra suivant I Lombardi alla prima crocciata(1843) sera dénoncé par le cardinal archevêque de Milan Gaetano Gaisruk qui écrivit une lettre au chef de la police dans laquelle il menaçait également d' écrire à l' Empereur Ferdinand d' Autriche.Mais Verdi sut s' appuyer sur des relations puissantes comme la comtesse Maffei pour déjouer la censure de la police de l' époque.
Si les artisans politiques de l' unité italienne furent Garibaldi, Cavour et Mazzini il est clair que Verdi, grâce à son génie créateur, fut leur meilleur porte-parole.
Il se convertira vite dans l' esprit des italiens en Père de la Patrie.
Parlons un peu de ce choeur des esclaves maintenant qui présente une particularité.Les 4 voix du choeur (soprano,contre-altos,ténors et basses) chantent à l' unisson durant les 28 premières mesures...Et puis, à la 29 ème mesure, le choeur se sépare en 4 voix différentes , ce qui donne un relief lyrique saisissant.
C' est à à 2 minutes 22 secondes sur la vidéo ci-dessous, au moment où le choeur chante,Arpa d'òr dei fatidici vati, et puis, Le memorie nel petto raccendi.
Voici quelques images de nos répétitions
Enfin, je terminerai en vous disant qu' il m' est difficile de travailler sur cette partition sans penser à mon père qui n' imaginait sans doute pas qu' un jour son fils s' attellerait sérieusement à cette oeuvre de Verdi.Moi, l' enfant du Rock qui rigolait et me moquait toujours gentiment des sentiments patriotiques des personnes un peu plus âgées.
Aujourd' hui , je pense à toi papa, italien jusqu' au bout des ongles, pour qui ce morceau représentait quelque chose.Toi qui a toujours été fier de ton pays, de son peuple et de ses immenses artistes.Aujourd' hui, je te retrouve aussi à travers l' Opéra...Je ne peux m' empêcher de penser à toi et à mes racines quand je chante cet air du Nabucco de Verdi...Je le fais avec tristesse, avec mélancolie, mais aussi avec la profonde satisfaction de ne pas avoir perdu le lien qui nous unit.
Alea Jacta Est va pensif...
PS: Sachez pour la petite histoire que lors des festivités de 2011 en l' honneur du 150 ème anniversaire de la réunification italienne Ricardo Muti avait dirigé cette oeuvre à l' Opéra de Rome devant un parterre de personnalités, dont Silvio Berlusconi.
Avant d' accepter le Va pensiero en bis, Ricardo Muti a fait un bref discours pour le public dans lequel il a balancé un beau missile en direction de l' infâme Silvio...
Muti : Je n'ai plus 30 ans et j'ai vécu ma vie, mais en tant qu'Italien qui a beaucoup parcouru le monde, j'ai honte de ce qui se passe dans mon pays. Donc j'acquiesce à votre demande de bis pour le "Va Pensiero" à nouveau. Ce n'est pas seulement pour la joie patriotique que je ressens, mais parce que ce soir, alors que je dirigeais le Choeur qui chantait "O mon pays, beau et perdu", j'ai pensé que si nous continuons ainsi, nous allons tuer la culture sur laquelle l'histoire de l'Italie est bâtie. Auquel cas, nous, notre patrie, serait vraiment "belle et perdue".
[Applaudissements à tout rompre, y compris des artistes sur scène]
Muti : Depuis que règne par ici un "climat italien", moi, Muti, je me suis tu depuis de trop longues années. Je voudrais maintenant... nous devrions donner du sens à ce chant ; comme nous sommes dans notre Maison, le théatre de la capitale, et avec un Choeur qui a chanté magnifiquement, et qui est accompagné magnifiquement, si vous le voulez bien, je vous propose de vous joindre à nous pour chanter tous ensemble.
C’est alors qu’il invita le public à chanter avec le Chœur des esclaves.Tout l' opéra de Rome s' est levé.Et le Choeur s' est lui aussi levé.Ce fut un moment magique dans l' Opéra.
Vous pouvez voir cette intervention de Muti ainsi que ce bis mémorable sur le lien ci-dessous.
http://www.agoravox.fr/actualites/europe/article/silvio-berlusconi-renverse-par-91522
PS nº 2: Il y a une anecdote assez savoureuse dans la biographie de Giuseppe Verdi.
En 1831 le conservatoire de musique de Milan rejettera sa candidature en tant qu' élève à cause d' une technique pianistique considérée comme déficiente et des connaissances jugées insuffisantes.
Le conservatoire de Milan entrera dans l' histoire de la musique comme celui qui a recalé Verdi...Les examinateurs responsables n' ont pas su, tout comme les employeurs de Bach un siècle auparavant, reconnaître les compositeurs de génie de leur temps.
Paradoxalement le conservatoire de Milan s' appelle aujourd' hui le CONSERVATOIRE GIUSEPPE VERDI...! C' est le comble, non ?
Ils ont mis en application la célèbre citation latine:
Errare humanum est, perserverare diabolicum
L' erreur est humaine mais perséverer ( dans l' erreur) c' est l' oeuvre du diable
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