J' ai commencé ma carrière d' enseignant du second degré assez jeune, et je me rappelle qu' à l' époque, la première difficulté que j' avais rencontré provenait du fait que je me sentais assez proche, de par mon âge, de certains de mes élèves qui avaient déjà acquis une certaine maturité.
Petite anecdote de rentrée scolaire: j' attends que le concierge vienne m' ouvrir la salle de classe... pendant ce laps de temps s' approche un repiquant de terminale qui me demande:
" -Tu le connais toi ? le nouveau prof de st' année??
- Bin oui, je le connais un peu...vu que c' est moi...."
Le premier écueil pour le jeune enseignant est de ne pas tomber dans le panneau du "prof-copain"....
C' est un gros danger pour lui, car s' il se laisse prendre dans une complicité un peu trop prononcée avec ses élèves, il risque de le payer très cher dès qu' il voudra faire preuve d' un minimum d' autorité.Ses étudiants exerceront sur lui une pression affective de plus en plus forte qui lui feront perdre certains de ses repères...
Personnellement, j' ai plutôt bien " négocié" cette première partie de ma vie enseignante sans me laisser jamais embobiner dans des histoires tordues..J'ai eu, par ailleurs, l' occasion de faire un passage dans l' enseignement supérieur,et il m' est arrivé parfois de tomber sous le charme de certaines de mes élèves, mais là aussi, il n' y a jamais eu de ma part le moindre geste ou la moindre attitude équivoque...tout au plus un regard qui tarde un dixième de seconde de trop et qui fait pressentir à la personne concernée qu' elle ne me laisse pas complètement indifférent.
Rien de bien grave..comme dirait Justine Lévy.
Aujourd' hui, à plus de 53 balais au compteur,je suis dans une autre étape de ma vie professionnelle et mon regard a bien évidemment changé.Fini la proximité d' antan...Je suis moi-même père de 2 enfants, dont l' un a le même âge que celui de mes élèves.
Les étudiants n' essaient plus de me la jouer"copain-copain".
Maintenant c' est un autre piège qui me guette: comme je suis un père un peu tolérant et parfois trop compréhensif qui a une tendance naturelle à pardonner les petits manquements aux règles et aux normes de sa propre progéniture, il m' arrive parfois d' identifier mes élèves à mon propre fils et d' avoir envers eux la même mansuétude...
C' est une question de cohérence personnelle: comment exiger des autres adolescents ce que je n' ai pas envie d' appliquer à mon propre fils ?
Je n' ai jamais cru que, dans mon domaine, la seule discipline et autorité, pouvaient faire obtenir des étudiants les efforts qu' on attend d' eux...
Malgré tout, et conscient des dérives que pourraient comporter une telle attitude, j' essaie de réfréner certaines de mes tendances en calquant mon comportement sur certain(e)s de mes collègues qui sont plus stricts et qui ne se laissent pas aussi facilement que moi amadouer par nos "petits chéris".
Finalement, je ne suis pas trop inquiet, et je pense que je trouverai la bonne distance pour ne pas tomber dans le deuxième piège qui me tend les bras: celui du prof un peu trop paternaliste.
Cependant, il y a un autre sujet qui m' inquiète...J' ai commencé ma carrière en France, mais maintenant j' enseigne en Espagne où l' âge de la retraite est à 65 ans et peut-être même prolongeable jusqu' à 67 !!!! Dans un pays qui culmine à plus de 20% de chômeurs.Si vous trouvez l' erreur je vous offre un pin !
Ce qui veut dire que dans une décennie je pourrais avoir l' âge des grand-pères des chères têtes blondes qui me seront confiées!!( NB:contrairement à ce que certains pourraient croire,il y a aussi des têtes blondes en Espagne )
Et là, ça commence à me faire peur.J' espère pouvoir m' arrêter à temps et n' être jamais perçu par mes étudiants comme une espèce de vieux dinosaure pythagoricien rébarbatif.
JE NE VEUX PAS FAIRE LE COMBAT DE TROP.
Je le dis clairement et solennellement à tous les responsables politiques espagnols et européens: si tous les profs doivent enseigner jusque 65 ans, ce n' est pas forcément un service que vous rendrez à la jeunesse !
A 65 ans je me sentirai probablement encore capable d' assurer des heures de soutien mais pas forcément dans un état de fraîcheur physique qui me permette de maîtriser des classes surchargées de 35 ados,hyperactifs, survitaminés,et en pleine ébullition hormonale...
J' ai bien peur que mon avenir ressemble peu à peu à celui du triste héros de la chanson" L' idole" de Jacques Dutronc, dont voici un extrait:
"Je n'dors plus je n'mange plus
J'ai maigri je suis aigri
J'suis malade j'fais plus pipi ni caca
J'suis pas vieux mais j'en peux plus
Je n'en peux plus
Ils vont me tuer
Tous ils m' exploitent
Jusqu' à m' abattre
Oui ils m'ont eu
Je vais crever............."
Je n' ai pas envie de finir sur scène comme Molière en rendant mon dernier souffle sur une dernière inconnue.
Pour le propre bien de nos futurs jeunes élèves, vaudrait peut-être mieux leur éviter ça !
FORCE ET HONNEUR ! J' ai dit !
Signé: ALEA JACTA EST
NB: nous sommes en pleine période électorale et, bien évidemment, ce petit billet est également un soutien à toutes les forces qui luttent en France pour maintenir le départ à la retraite à un âge digne et raisonnable....J' espère que les français sauront protéger leurs acquis sociaux et qu' ils ne seront pas "mangés à la même sauce" que moi.....