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30 janvier 2013 3 30 /01 /janvier /2013 18:05

Bonjour les amis, 

Il est des livres qui nous laissent des profondes impressions durables et qui, d'une certaine manière changent définitivement notre vie, ou notre regard sur les gens et sur les choses.

"Le Christ s' est arrêté à Eboli" de Carlo Levi (à ne pas confondre avec l'autre grand écrivain Primo Levi), fait partie de ces livres-là. 

Voici un bref résumé de cette oeuvre autobiographique: 

Un jeune médecin turinois antifasciste notoire membre du mouvement Justice et Liberté, Carlo Levi est "confinato", exilé, relégué par les autorités fascistes dans une région reculée du sud de l' Italie, la Basilicate, appelée alors Lucanie. Nous sommes dans les années 1930. Là-bas, la malaria décime la population qui vit déjà dans une misère noire. Levi raconte ce qu'il vit, ce qu'il voit. Il peint avec son pinceau et sa plume le portrait d'une région abandonnée à son triste sort et relate le mode de vie de ses habitants, leurs coutumes, leurs croyances, offrant du même coup à la littérature italienne certaines de ses plus belles pages (traduit en 37 langues, ce livre est d'ailleurs un classique de version italienne). 

 

Le Christ s'est arrêté à Eboli

Le titre de l' ouvrage fait référence à une expression de désespoir des paysans de Lucanie: 

Non siamo cristiani. Cristo si è fermato a Eboli " .

Traduction:" Nous ne sommes pas des chrétiens (chrétien est à prendre en italien dans le sens de" personnes" ou " hommes"). Le Christ s'est arrêté à Eboli".

Nous vivons dans une telle misère que même le Bon Dieu n'est jamais arrivé jusqu'à nous... 

 

Voici ce qu' écrit Sissi, une critique du net, à propos de ce livre: 

Lorsque Carlo Levi arrive à Gagliano, en 1935, pour y rester trois ans assigné à résidence, il dit avoir eu « l’impression d’être tombé du ciel, comme une pierre dans un étang ».
Gagliano, « un tout petit village, loin des routes et des hommes », est un lieu comme hors du temps, où les coutumes et les moeurs ancestrales règnent : la sorcellerie, les philtres d’amour, la charlatanerie, la passatella (le « jeu des paysans », exutoire qui finit pourtant souvent mal), les charmeurs de loup, le brigandage…
Cet enfermement forcé, ce « confinement » imposé incite et pousse au repli sur soi.
Et Carlo Levi, dans la langueur des longues journées sans but et sans fin, observe, peint, dépeint, décrit et analyse.

Entre descriptions magnifiques (on voit, on entend les nuées de mouches qui tournoient dans le silence épais des chaudes après-midi d’été), récit et réflexions, il réussit à nous immerger dans ce monde paysan, archaïque, où les « galantuomini » (les propriétaires bourgeois) côtoient les « cafoni » (les paysans) sans jamais se rencontrer vraiment, tout comme l’état et le peuple, ou encore l’Italie du Nord et celle du Sud, se jaugent dans une indifférence teintée de mépris réciproque.
« Deux civilisations très différentes coexistent l’une à côté de l’autre, dont aucune n’est en mesure d’assimiler l’autre. »
Lieu reculé et acculé, Gagliano semble comme oublié des Dieux.
Au bout d’un an, Levi est autorisé à s’en aller, et il finit par s’en aller, presque à regrets.
Mais il n’oublia pas . 
 

Etant moi-même d'origine italienne, j'ai pu observer les attitudes de ces paysans du Sud dans ma toute prime jeunesse quand nous allions en vacances dans notre famillle calabraise .

J'étais à la fois émerveillé et ému par la chaleur de l'accueil reçu, par les fortes embrassades de nos parents et amis. Je ne les connaissais pas tous mais ils me donnaient l'impression d'être unis à eux par des liens très forts et indissolubles. J'étais aussi, à la fois surpris et intrigué par leur système de valeurs qui n'était pas tout à fait le mien.

Moi, fils d'immigrés, formé à l'école française dans une confiance absolue envers les principes glorieux de la République, je comprenais difficilement, par exemple, le manque de respect de mes oncles, tantes ou cousins calabrais vis-à-vis de leurs propres autorités politiques et sociales de l'époque. 

Bien plus tard, en lisant le livre de Carlo Levi,  tout s'est éclairé. Ce livre raconte l'histoire de mes parents et grand-parents et cette histoire ne pouvait, bien évidemment pas figurer dans mes livres scolaires français. Une histoire de souffrances et d'injustices où l'Etat est tout sauf une providence. Celui-ci n'est pas perçu comme une entité protectrice mais plutôt comme un fléau au service des "patrons féodaux". Un Etat qui ne fait qu'aggraver les problèmes préexistants en levant des impôts trop lourds et injustes. Dans ce contexte très dur, les paysans, pour survivre, font davantage confiance à leur clan, à leur "tribu", et à leur famille et n'ont que très peu de respect pour des institutions qui ne leur apportent aucune sécurité ni aucun bien-être.

Ma grand-mère, et ce n'est qu'un exemple, avait perdu 3 de ses 6 enfants en bas-âge (parfois à l'âge de 3 ou 4 ans), tout simplement parce qu'elle ne pouvait pas disposer d'un minimum d'assistance médicale. C'était comme ça...la différence entre la vie et la mort pouvait ne tenir qu'à un fil....et les enfants qui survivaient pouvaient ensuite surmonter les épreuves les plus dures. Il y avait une terrible sélection naturelle! Du Darwinisme social cruel, pur et dur!

Jamais un livre ne m'a autant éclairé sur ma propre histoire et sur mes origines....Toute cette mentalité que j'avais perçue en Calabre dans les années 70, de façon confuse sans pouvoir l'exprimer, était là, dans ce bouquin !   

Mais ce livre me donnait aussi d'autres clés plus universelles encore...Il m'apprenait à  ne pas jauger les autres, et à ne pas les ramener systématiquement à moi-même...à les regarder et  à les aimer pour ce qu'ils sont...C'est le même regard que je retrouverai ensuite chez les grands anthropologues comme Levi-Strauss ou bien Marvin Harris. 

Je terminerai mon billet en vous disant qu'il existe une excellente adaptation cinématographique de Francesco Rosi où le personnage de Levi est interprété avec beaucoup de sobriété par Gian Maria Volonte, mais je ne saurais trop vous conseiller de commencer d'abord par le livre...

 

aliano.jpg

 

Illustration: village de Gagliano( de son vrai nom Aliano) où repose Carlo Levi et où on peut aller visiter ce qui fût sa résidence forcée.

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commentaires

F
<br /> Il y a déjà quelques temps que j'ai terminé la lecture de ce livre .<br /> <br /> <br /> Et bien ,j'ai beaucoup aimé. J'ai été surpris par les conditions de vie de ces gens, on a du mal à imaginer que l'on vivait encore dans dde telles conditions dans certaines régions d'Europe juste<br /> avant la guerre .<br /> <br /> <br /> Ce qui est à noter c'est que ces gens se moquaient du fascisme, leurs seules préoccupations c'était leur vie de paysan, leur futur récolte, leurs animaux,  d'avoir un médecin sous la main<br /> ...<br /> <br /> <br /> Des gens qui avaient les pieds dans la terre et sur terre face à la folie du Duce .<br /> <br /> <br /> C'est un peu moins vrai maintenant grace , ou à cause de la télé, d'internet ou des moyens de locomotion plus accessibles, mais il y a toujours eu un grand décalage entre le monde de la ville et<br /> celui de la campagne .<br /> <br /> <br /> Bonne soirée AJE<br /> <br /> <br />  <br />
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A
<br /> <br /> Oui Fatizo, tout ce que tu dis est vrai.Les paysans n' avaient absolument aucune confiance en quelque parti que ce soit...trop longtemps habitué à la misère.Ce qui est quand même vraiment<br /> paradoxal dans cette histoire de Levi, c' est que celui-ci est éloigné, exilé par les fascistes,envoyé au fin fond d' une cambrousse oubliée de Dieu, et qu 'il en tire un chef d' oeuvre considéré<br /> comme un classique des lettres italiennes.Levi, éxilé renvoie aux politiques un portrait social dur et sans concession qu' ils ne veulent pas voir.L' arroseur arrosé.Je trouve cela admirable car<br /> c' est la meilleure réponse qu' il pouvait faire aux censeurs de l' époque.<br /> <br /> <br /> Pour revenir à l' Italie contemporaine, j' ai vu hier soir un reportage édifiant de la sexta sur la situation actuelle.L' émergence de Grillo nous fait trop vite oublier le score incroyable<br /> de Berlusconi compte-tenu des milliers de casseroles qu' il traîne derrière lui...cela veut donc dire qu' il y a une partie importante de l' électorat italien qui est profondément immorale ou<br /> profondément inculte, il faut choisir.Par ailleurs, j' ai écouté une des très rares interviews de Grillo( concédé à des journalistes parce qu' ils étaient espagnols, vu qu' il snobe les<br /> journalistes de son pays) ...et bien, après l' avoir écouté cela me renforce dans l' opinion que j' émettais sur mon dernier papier même si Grillo attire la sympathie par bien des aspects.Il<br /> est beaucoup plus fin et honnête qu' on veut bien nous le faire croire.D' ailleurs , je vais peut-être faire un 2 ème billet.Ceci dit, et avec toutes les réserves qui s' imposent, je me réjouis<br /> de l' émergence du mouvement de Grillo car je crois que c' est vraiment la seule manière de faire réagir les autres partis...<br /> <br /> <br /> Bonne journée Fatizo et merci pour ce vote cde confiance sur "le christ s' est arreté à Eboli".<br /> <br /> <br /> <br />
L
<br /> C'est ce qui est arrivé à Eugène Sue...<br /> <br /> <br /> Nanti, en manque d'inspiration, un ami lui conseille d'aller côtoyer la populace de Paris... Il répond qu'il n'aime pas la saleté ni les mauvaises odeurs, mais il finit par s'y résoudre... Ca<br /> donnera "Les Mystères de Paris" et "Le Juif Errant" qui feront sa renommée ! J'ignore dans combien de langues il a été traduit !<br /> <br /> <br /> Je suis ravi de constater que tu as écrit 3 articles en si peu de temps !<br />
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A
<br /> <br /> Ton rapprochement est très intéressant avec toute fois une petite nuance.Levi était un intellectuel du Nord de l' Italie qui ignorait absolument tout de la situation des paysans du<br /> Mezzogiorno...Ironie du sort: il profite d' une sanction des fascistes italiens et d' un exil forcé pour donner à son pays une des plus belles oeuvres qui soient...un terrible portrait que<br /> la société italienne n' a jamais voulu voir ! Quelle leçon !!!<br /> <br /> <br /> En ce qui concerne ma production, je suis comme une marmotte: je peux pondre 3 billets en 3 jours et rester en hibernation pendant 6 mois d' affilée...<br /> <br /> <br /> Bon WE l' ami<br /> <br /> <br /> <br />
R
<br /> Bonsoir AJE <br /> <br /> <br /> je n'ai pas lu ce roman mais j'ai forcément envie d'entamer la lecture quand j'aurai le temps : mes arrière grands parents étaient aussi d'origine italienne, le sujet m'intéresse : j'ai<br /> pensé en lisant ton résumé au roman de Giono : Le hussard sur le toit qui évoque les ravages du choléra en Provence....superbe roman aussi dans l'écriture et le message humaniste...<br /> <br /> <br /> Belle soirée encore et ciao ! comme on dit là bas !<br />
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A
<br /> <br /> Oui Rosemar, en lisant Levi on pense aussi à Giono.Il y a de nombreux points communs.Les deux décrivent un monde dur, aux valeurs païennes et soumis à la vérité de la Terre.Pas de<br /> romantisme ni de sentimentalisme!!<br /> <br /> <br /> Et pour toi qui est d' origine italienne l' oeuvre de Levi t' éclairera sur bien des aspects de l' histoire de tes ancêtres.Levi parle aussi de cette époque trouble et de la manière<br /> dont les fascistes essayaient de s' imposer dans le monde rural.Ce qu' il dit rejoint les anecdotes que j' ai entendu de la part de mon grand-père et de ma grand-mère( "il nonno e la nonna"..en<br /> dialecte calabrais on dit "lu nonno e la nanna")..Pour ceux qui s' intéressent à l' Italie cette oeuvre est incontournable  !!<br /> <br /> <br /> <br />
F
<br /> Bonsoir AJE,<br /> <br /> <br /> Cela tombe bien, ce week-end je vais faire mes courses, ton livre sera au programme sans oublier les bons conseils de Rosemar, et puis aussi au rayon musique ma récente découverte d'un jeune<br /> anglais bourré de talent. Mais j'en reparlerais plus dans mon billet musical du week-end .<br /> <br /> <br /> Voici un avant gout <br /> <br /> <br /> http://www.youtube.com/watch?v=J9XwFecNXyU<br /> <br /> <br /> Bonne soirée à toi .<br />
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A
<br /> <br /> Merci pour le lien.Jake Bugg prolonge de manière convaincante la tradition des folksongs anglais qui avait commencé dans les années 60.<br /> <br /> <br /> En ce qui concerne, Carlo Levi, c' est beaucoup d' honneur que tu me fais de le mettre au rayon de tes prochaines lectures.Curieusement je ne l' ai pas encore relu pour une raison très simple..à<br /> chaque fois que je le rachetais je l' offrais aux personnes de passage à la maison.La dernière fois, c' était pour ma nièce, qui a eu la chance de connaître ses grand-parents et arrière<br /> grand-parents calabrais.Avant que mon père ne décède de son cancer, elle l' avait accompagné pour un dernier voyage dans sa Calabre natale.Je n' avais pas pu aller avec<br /> eux car Alex était assez malade.J' avais refilé ce bouquin à ma nièce en lui disant: " si tu veux savoir ce qu' ont vécu Papi et la "nonna", lis ce livre..tu comprendras tout !! "<br /> <br /> <br /> Bonne fin de soirée l' ami et merci de ta confiance<br /> <br /> <br /> <br />