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15 septembre 2024 7 15 /09 /septembre /2024 10:43

Bonjour les amis,

Aujourd'hui j'ai envie de partager avec vous une des magnifiques lettres que Pasolini avait adressée à la Callas.

Mais avant de le faire, il me faut vous en préciser le contexte.

Pier Paolo Pasolini et María Callas se sont rencontrés en 1969, lorsque les producteurs Franco Rossellini et Marina Cicogna ont proposé à la chanteuse le rôle de Médée. Pasolini n'aimait pas l'opéra et craignait les caprices d'une célébrité habituée au luxe. Maria Callas, en revanche, était fascinée par ce réalisateur militant et écrivain communiste dont on parlait tant. Les réserves mutuelles et les appréhensions réciproques entre les deux artistes disparurent instantanément dès leur premier contact.

C’est ainsi que Pasolini se souvient de la première fois qu’il a vu la chanteuse : «Un physique extraordinaire, avec ces grands yeux dans un visage aux pommettes saillantes, et avec ces traits et expressions qui s’intègrent parfaitement dans ma mythologie physionomique. ».

Quant à la Callas, elle a déclaré : « Nous sommes très unis spirituellement, comme cela est rarement permis. »

Ils ont immédiatement construit une intimité faite de voyages, de longues conversations et de nombreuses lettres pleines d'affection, de compréhension mutuelle et de présence.

Voici donc une de ces lettres dans laquelle Pasolini parle aussi de la nature très particulière du travail cinématographique.

"Chère Maria,

ce soir, à la fin de notre journée de travail, sur ce sentier de poudre rose, j'ai perçu avec mes antennes qu'il y avait en toi la même angoisse que celle qu'hier, avec tes antennes, tu as perçue en moi. Une angoisse très légère, à peine plus qu'une ombre, et pourtant invincible. Hier, il ne s'agissait pour moi que d'un peu de névrose ; mais aujourd'hui, il y avait en toi une raison précise (précise jusqu'à un certain point, naturellement) à ton accablement, au moment où le soleil disparaissait. C'était le sentiment de ne pas avoir eu complètement la maîtrise de toi-même, de ton corps, de ta réalité : d'avoir été "utilisée" (et de plus avec la fatale brutalité technique qu'implique le cinéma) et par conséquent d'avoir perdu en partie ta pleine liberté. Tu éprouveras souvent ce serrement de cœur, pendant notre tournage, et je l'éprouverai aussi avec toi. Il est terrible d'être celle qui est utilisée, mais aussi celui qui utilise.
Toutefois, c'est une exigence du cinéma : il faut briser en mille morceaux une réalité "entière" pour la reconstruire dans sa vérité synthétique et absolue, qui la rend par la suite plus "entière" encore.
Tu es comme une pierre précieuse que l'on brise violemment en mille éclats pour qu'elle puisse ensuite être restituée dans une matière plus durable que celle de la vie, c'est à dire la matière de la poésie. Il est justement terrible de se sentir brisés, de sentir qu'à un certain moment, à une certaine heure, en un certain jour, on n'est plus entièrement soi-même, mais seulement un éclat de soi-même : je sais combien cela peut-être humiliant.
Aujourd'hui, j'ai saisi un instant de ta splendeur, alors que tu aurais voulu me l'offrir tout entière. Mais ce n'est pas possible. À chaque jour sa lueur, et à la fin, on aura la lumière entière et intacte. Il y a aussi le fait que je parle peu, ou que j'ai tendance à m'exprimer de façon incompréhensible. Mais on peut facilement remédier à cela : c'est comme si j'étais en transe, j'ai une vision ou plutôt des visions, les "Visions de la Médée" ; dans cet état d'urgence, tu dois te montrer patiente avec moi, et m'arracher les paroles par la force. Je t'embrasse. »
PPP

Photo prise durant le tournage de Médée

Photo prise durant le tournage de Médée

Superbe photo qui souligne la grande complicité naturelle qui existait entre ces deux artistes que tout opposait

Superbe photo qui souligne la grande complicité naturelle qui existait entre ces deux artistes que tout opposait

Si vous  avez un compte facebook vous pourrez entendre Béatrice Dalle lire cette magnifique lettre de Pasolini à la Callas.

PS: Après avoir lu cette lettre si dense il ne me reste plus qu'à visionner le plus vite possible MEDEE qui est, d'après ce que j'en ai lu, une des oeuvres les plus âpres et ardues du grand metteur en scène italien qui s'est inspiré de l'oeuvre d'Euripide.

Son film est visible en intégralité en VO italienne (sous-titrée espagnole) sur ce lien-ci.

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commentaires

R
Je connais mal le cinéma de Pasolini. J'ai lu que son film Médée est très librement inspiré de l'oeuvre d'Euripide... c'est une réinterprétation du mythe.<br /> Sur wiki, on peut lire ceci :<br /> <br /> "Dans Médée, Pasolini met en scène la rencontre de deux cultures dans des paysages impressionnants. L'incompatibilité de ces cultures fait que la relation des deux personnages principaux, le Grec pragmatique et rationaliste Jason et la prêtresse archaïque et animiste Médée, se termine en une tragédie sanglante.<br /> <br /> Conçu comme une critique des sociétés de consommation occidentales et de leur culture de masse, le film tente de se soustraire à la logique commerciale grâce à une structure narrative fragmentée et à son langage cinématographique original."<br /> <br /> Donc un message politique aussi dans la forme du film qui est assez complexe. Ce fut d'ailleurs un échec commercial.<br /> <br /> La lettre est toute en nuances concernant le rôle du metteur en scène.<br /> <br /> <br /> Belle soirée, AJE
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A
Merci pour ces indications sur cette adaptation du mythe grec. Il vaut mieux être un peu prévenu avant de se lancer dans le visionnage du film qui peut être assez déroutant.<br /> J'ai été frappé par la teneur de la lettre de Pasolini dans laquelle il exprime à la fois son admiration pour Maria Callas mais dans laquelle il y a une profonde réflexion sur le travail cinématographique proprement dit.<br /> "Toutefois, c'est une exigence du cinéma : il faut briser en mille morceaux une réalité "entière" pour la reconstruire dans sa vérité synthétique et absolue, qui la rend par la suite plus "entière" encore."<br /> Il a presque l'air de s'en excuser car il sait que Maria Callas qui vient de l'Art Lyrique n'a jamais travaillé de cette façon, par "éclats", par "petits bouts" qui finiront par former une oeuvre qu'il espère splendide dans tout son ensemble.<br /> Bonne fin de soirée l'amie<br />
L
Sophie Cecilia Kalos naît au Flower Hospital de New York, à Manhattan, le 2 décembre 1923 de George Kalogeropoulosb et d’Evangelia (dite Litsa) Dimitriadou. On ignore la date exacte à laquelle le nom de Callas remplaça Kalos, qui lui-même avait remplacé Kalogeropoulos, ni même s’il l’a réellement remplacé. On sait surtout que ce fut un nom d’artiste. Au moment de quitter la Grèce pour les États-Unis, le 30 mars 1945, Maria indique que son nom de scène est « Mary Callas » ; quand elle part pour l’Italie en 1947, son nom de scène mentionné sur sa demande de passeport est cette fois « Maria Callas ». Quoi qu’il en soit, « Kalos » reste le seul nom sous lequel Maria Callas a été enregistrée sur le sol américain. Elle conserve ce nom, inscrit sur toutes les pièces d’administration et passeports, toute sa vie active jusqu’en 1966, année où elle renoncera officiellement à la nationalité américaine à l’ambassade des États-Unis de Paris.<br /> <br /> Que c'est bête, renoncer à la nationalité américaine, alors que moi je la souhaite de tous mes vœux !!!
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A
Ça dépend des pays et des accords qu'ils ont passé entre eux. Par exemple l'Espagne accepte la double nationalité seulement avec les pays avec lesquels elle a une histoire coloniale commune comme, par exemple, l'Argentine...mais elle n'accepte pas la double nationalité avec ses voisins européens.
L
Comment se fait-il que les Israéliens aient 2 ou 3 nationalités ?<br /> Moi-même j'en ai 3
A
Maria Callas fera ce choix en 1966 pour retrouver la nationalité grecque de ses aieux (ce que l'on peut comprendre). Une manière aussi d'accélérer son divorce et de se rapprocher de l'armateur Aristote Onassis.<br /> Par ailleurs, ce sont les grecs qui ont inventé la tragédie et finalement c'est plutôt pas mal qu'une artiste qui a triomphé de manière planétaire dans des grands rôles tragiques soit de nationalité grecque. Retour aux sources...---)))